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Présidentielle 2015 : Le CDP en quête d’un candidat
Au stade actuel de la situation politique, tout laisse croire que le président Blaise Compaoré n’a plus d’autre choix que de respecter les termes de la constitution qui lui interdisent de briguer encore la magistrature suprême. Les médiateurs autosaisis ont fini par laisser les scrupules de côté pour lui dire ce qu’ils pensaient tout bas, à savoir : renoncer clairement à modifier l’article 37 de la constitution. « Le président du Faso prend sur lui la responsabilité de son départ en 2015, à la fin constitutionnelle de son mandat », déclarent les sages. Pour eux, c’est le seul scénario d’honneur qui s’impose à lui. Dans ce cas, « la majorité joue la carte de la responsabilité et positionne son candidat le plus à même de lui assurer la victoire ». C’est le souhait de Jean-Baptiste Ouédraogo et de ses compagnons de la médiation. Cette invite à trouver un candidat autre que Blaise Compaoré pour l’échéance électorale de 2015 est un grand défi pour le parti présidentiel, une grande responsabilité qu’il n’a jamais pu exercer jusque-là. Le président Blaise Compaoré étant l’alpha et l’oméga du parti, les éventuels présidentiables se font encore tout petits, espérant avoir la préférence du « grand maître de la loge CDP ».

« Le CDP cherche candidat pour 2015. » Cela pourrait être l’intitulé d’une annonce à afficher au siège du parti, Avenue du Dr Kwamé Nkrumah. Pressé par le calendrier électoral qui défile à grande vitesse, le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) commence à sortir de sa logique de « Blaise ou rien ». Les responsables du parti n’écartent plus l’hypothèse d’une autre candidature autre que celle de Blaise Compaoré à la prochaine présidentielle. Interrogé par notre confrère de L’Evénement (n°276 du 25 mars 2014) sur les intentions de Blaise Compaoré de briguer un autre mandat, le secrétaire exécutif national du parti lâche : « Etant un collaborateur du président Blaise Compaoré, je ne l’ai pas entendu se prononcer sur cette question. Et le CDP, mon parti, ne s’est pas encore exprimé sur le sujet. Il convoquera en temps opportun ses instances pour le faire. »

Assimi Kouanda n’est pas non plus à l’aise quand on le questionne sur le référendum comme si le sujet était devenu subitement tabou au CDP. Il se contente d’annoncer des évidences comme la tenue d’un congrès pour début 2015 pour faire connaitre le candidat du parti. Toutes ces circonvolutions traduisent néanmoins une certaine évolution dans l’agenda politique du pouvoir, ne serait-ce que sur le plan théorique. Même lors de la réunion du bureau politique national (BPN) du parti tenue le 29 mars, Assimi Kouanda et ses camarades ont soigneusement évité d’évoquer les sujets qui fâchent (mise en place du sénat, révision de l’article 37, référendum). Ils ne martèlent plus leur souhait de voir Blaise Compaoré se représenter en 2015. C’est en soi un début de changement de cap. Mélégué Maurice Traoré, député et conseiller politique du parti, avait déjà dressé dans le quotidien Le Pays du mardi 25 mars un constat implacable de l’inutilité pour le pays d’une énième candidature de Blaise Compaoré. « … à mon avis, quand on a fait 25 ou 30 ans à la tête d’un Etat, on ne doit plus se poser de question en terme d’avenir politique.

Après 30 ans, que peut-il encore faire pour le Burkina qu’il n’a pas fait ? Il faut simplement aménager le passage à une autre phase de l’histoire politique du pays. », assène l’ex-président de l’Assemblée nationale (1997- 2002). Pour lui aussi, « si aujourd’hui ou demain, Blaise décide de ne pas se présenter, il faudra bien que le CDP présente un candidat ». Après avoir admis enfin que le CDP peut présenter quelqu’un d’autre, la question qui revient c’est celle de l’identité des hommes et des femmes susceptibles de porter l’étendard du parti à la prochaine présidentielle. Les éventuels candidats vont se recruter dans trois milieux : la diplomatie, le sérail militaire et l’appareil du parti.

La carte Kadré
Au niveau des diplomates, l’homme en vue actuellement, c’est bel et bien Kadré Désiré Ouédraogo, le président en exercice de la Commission de la CEDEAO. Il devient de plus en plus présent sur la scène nationale. Il a parrainé la dernière édition de la Semaine nationale de la culture (SNC). Il réunit plusieurs atouts. Sur le plan du caractère, c’est un homme affable, très courtois et consensuel. Sur le plan professionnel, il a une riche expérience à l’international. De la BCEAO à la CEDEAO en passant par Bruxelles, la capitale de l’Union européenne, il a eu le temps de tisser sa toile et de démontrer ses compétences d’économiste-gestionnaire et de diplomate averti des grands dossiers de l’Afrique et du monde. Il a donc toutes les qualités requises et appréciées par certaines chancelleries occidentales. Mais ces atouts risquent d’être insuffisants dans le contexte actuel de la situation politique. Bien qu’ayant été Premier ministre pendant cinq ans (1996-2000), Kadré ne dispose d’aucune base électorale et son influence au sein du parti est presque nulle. Il n’a aucun contrôle sur l’appareil du parti. S’il doit être désigné, ce serait simplement par la seule volonté de Blaise Compaoré, qui devra par la suite s’investir personnellement pour lui faciliter la tâche. Il reste donc un candidat à risque pour le CDP, une proie très facile pour les dinosaures du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP). On se rappelle de ses difficultés en 1997, lors des législatives, à se positionner comme candidat dans sa province d’origine du Sanmatenga. Sa fonction de Premier ministre n’avait rien pu faire pour lui. Aujourd’hui plus qu’hier, il serait très difficile pour lui de conquérir démocratiquement une position enviable dans la province au regard de sa longue absence. Pour remédier à ces handicaps, il aurait besoin de beaucoup de temps. Or, c’est ce qui fait défaut au pouvoir dans son ensemble.

Djibril Bassolet, le général diplomate
Lui aussi sillonne ces derniers temps le Burkina Faso, alternant inaugurations de mosquées et parrainages de coupes sportives par-ci, par-là. De sa Kossi natale au Centre-Ouest, il est beaucoup sollicité par diverses structures religieuses et associatives dans le cadre de leurs activités. Avec le soutien de l’Organisation de la conférence islamique (OCI) et ses amis du Qatar, Djibrill Bassolet se rend disponible et surtout généreux envers tout ce beau monde. Il pourrait mettre toutes ces structures à contribution s’il lui arrivait de nourrir des ambitions nationales. Par rapport à la situation nationale, il a l’avantage de ne s’être pas compromis sur l’article 37. Il a toujours répété que si sa révision allait être source de tensions, voire de troubles pour le pays, il serait mieux de le laisser en l’état. Son discours a toujours été que Blaise Compaoré ne ferait rien qui va remettre en cause la stabilité du pays. En martelant ce discours depuis 2011, lors des manifestations scolaires et autres mutineries, il prenait ainsi sa distance avec la position officielle du CDP. Il peut se prévaloir de cette constance auprès de l’opinion publique. Autre avantage du pandore, c’est sa connaissance du système qui gouverne le pays depuis ces trente dernières années. Du Conseil national de la révolution (CNR) à la 4ème République en passant par le Front populaire, il a toujours été au coeur du système sécuritaire. A partir de l’année 2000, on a vu son influence se renforcer dans le système au point que certains observateurs estiment que n’eut été son entregent, le régime n’aurait pas survécu à la crise consécutive à l’assassinat de Norbert Zongo. Il a beaucoup pesé dans le « containment » du Collectif contre l’impunité qui avait décrété entre temps des « résistances actives », synonymes pour certains de prémices insurrectionnelles. Sa cote est donc élevée auprès de la famille présidentielle et quelqu’un comme François Compaoré ne finira jamais de le remercier pour l’avoir tiré du pétrin dans l’affaire David Ouédraogo. Si ces états de services peuvent lui créditer de bons points auprès du cercle restreint du président, ils constituent en même temps un handicap auprès de l’opinion publique. Son passé sulfureux avec le régime et sa casquette de militaire peuvent rebuter une bonne partie de l’opinion, surtout des villes qui ont envie de tourner la page des hommes en tenue à la tête du pays. Tout comme Kadré, il ne maîtrise pas non plus l’appareil du parti. Il n’a jamais eu un mandat électif et reste un peu distant des hommes politiques, ce qui n’est pas un avantage dans la situation actuelle.
 
Paramanga ou Soungalo ? Juliette à l’affût

Au niveau des fins politiques, des apparatchiks du parti, aucun homme ou femme ne se détache du lot. Il y a plusieurs figures qui peuvent légitimement prétendre à la candidature. Si on exclut François Compaoré et Assimi Kouanda, très affaiblis par la controverse sur le sénat et l’article 37, on a trois personnalités à même de briguer la candidature. Il s’agit du président de l’Assemblée nationale, Soungalo Appolinaire Ouattara, le président du Conseil économique et social (CES), Paramanga Ernest Yonli et Juliette Bonkoungou, ex ambassadrice au Canada et conseillère politique du parti. Quels sont les atouts et les faiblesses de chacun de ses candidats putatifs ?

Soungalo : consensuel mais très régional
C’est l’homme politique le plus en vue dans le système de ces cinq dernières années. Il a fait une ascension fulgurante, gravissant presque tous les postes politiques en vue l’un après l’autre (secrétaire général de ministère, secrétaire général du gouvernement, ministre délégué, ministre, président de l’Assemblée nationale). Au niveau de sa région, il peut se targuer d’avoir une assise populaire en cultivant l’image d’un politique à l’écoute des gens, généreux et rassembleur à la différence de ses aînés locaux qui ont passé leur temps à entretenir des querelles de personnes ou de groupes. Il a réussi à faire une nette démarcation de style et de méthode d’avec les barons historiques locaux du parti (Thomas Sanou, Salia Sanou, Alfred Sanou, Koussoubé avant sa démission, etc.). Tout cela a joué dans la balance pour l’asseoir au perchoir de l’Assemblée nationale après les législatives de 2012. Pourtant, malgré sa position de deuxième personnage de l’Etat, Soungalo reste pour le moment confiné dans une posture de leader régional.

Paramanga, énergique mais très clivant
C’est le seul proche de Blaise Compaoré qui a eu le courage d’affirmer qu’il pouvait bel et bien se porter candidat à la présidentielle à la place de Blaise Compaoré. C’était avant qu’on le débarque de son poste de premier ministre en 2007. Avant le congrès de mars 2012, il ne cachait pas non plus ses intentions de prendre les rênes du parti, après son passage aux Etats-Unis comme ambassadeur. Il estimait qu’il le méritait après l’annonce du retrait des principaux architectes comme Roch et Simon. Paramanga a été très déçu par la suite. Du CES, il rêve de voir Blaise Compaoré annoncer son retrait pour extérioriser ses intentions. De tous les leaders actuels du CDP, c’est celui qui montre vraiment qu’il est vraiment intéressé. Pour une élection présidentielle, c’est une disposition d’esprit importante. Il faut en vouloir d’abord, montrer qu’on est prêt à assumer les charges. Il a l’énergie et l’ambition qu’il faut à tout bon candidat. Il lui reste la confiance de ses camarades qui le trouvent très suffisant, parfois arrogant. Dans sa propre région, l’Est, il n’arrive pas à rassembler, même au sein de son parti. On ne parle pas des autres leaders d’autres partis où c’est souvent « je t’aime moi non plus ». Par exemple, ses relations avec le roi du Gulmu, le Kupiendieli, (le député ADF/RDA) n’ont jamais été bonnes depuis que ce dernier a rejoint la mouvance présidentielle. Or, le roi contrôle, à travers ses réseaux de chefs une bonne partie de la région. Ce n’est pas pour rien que l’ADF/RDA a remporté trois élus nationaux dans la région.

Juliette, intellectuelle très diminuée physiquement
L’opinion publique attendait sa démission avec les responsables actuels du MPP. Elle faisait en effet partie de ceux qui critiquaient ouvertement la décision du congrès de mars 2012 d’écarter les fondateurs du CDP au profit de néophytes. Elle n’appréciait surtout pas le mépris de certains parachutés du parti qui, à longueur de colonnes dans les journaux, sur les antennes des radios ou les plateaux de télévision les traitaient de has been. Elle tentait de donner la réplique à chacune de ses sorties médiatiques. C’est donc avec surprise que le 4 janvier, on apprend qu’elle ne figure pas sur la liste des démissionnaires. Quelques jours après, on apprenait que le président l’avait chargé de mener une médiation entre le groupe de Roch et celui de Assimi pour recadrer les choses au sein du parti. Vraisemblablement, c’est ce qui aurait milité pour sa « loyauté » envers le président. Mais comme on le sait, sa mission a foiré avant même d’avoir commencé ; ses ex camarades ayant décidé de rompre définitivement avec le système en place. Que pouvait-elle faire dans ce cas ? Au début de la médiation de Jean-Baptiste Ouédraogo et de ses compagnons, certaines sources affirmaient qu’elle misait sur cette médiation pour la propulser au poste de Premier ministre de la transition prônée entre temps par les « sages ». Après la fin de la médiation, elle se retrouve encore esseulée. Il ne lui reste plus que la candidature à la présidentielle. Ce serait original et une première au Faso. Mais on se demande si ce n’est pas tard pour cette femme, énergique et battante dans les années 90 et début 2000. Aujourd’hui, elle est très diminuée physiquement et elle a perdu de son aura d’antan, même dans son fief de Koudougou, après presqu’une dizaine d’années passée au Canada. Autre handicap, c’est son image dans l’opinion publique. Son louvoiement par rapport à l’article 37 a quelque peu terni son image. Elle est pour le référendum, même si elle en appelle à la sagesse du président Compaoré pour laisser en l’état le fameux article. Une position intenable intellectuellement. Mais « Julie la rose » croit à son étoile et attend sagement la décision du président car, après tout, c’est lui seul qui décide des grandes orientations et des choix importants au CDP. Ce qui est sûr, le temps joue contre le président et tous ces présidentiables qui attendent sa décision finale. Pendant ce temps, le MPP prend de l’envol et son président prend chaque jour de l’assurance. A cette allure, le CDP risque de soutenir le candidat de l’ADF/RDA comme ce dernier l’avait aussi fait en 2005 et 2010 pour le candidat du CDP.

Abdoulaye Ly
MUTATIONS N° 50 du 1er avril 2014. Bimensuel burkinabé paraissant le 1er et le 15 du mois (contact :mutations.bf@gmail.com . site web : www.mutationsbf.net)