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Grandes manœuvres pour la participation des « Burkinabè de l’étranger » à la présidentielle 2015

Lundi 10 mars 2014. Ils sont tous là, dans la salle des conférences du ministère des Affaires étrangères et de la Coopération régionale. L’ambiance de ces Conférences des ambassadeurs est toujours la même. Joyeuse et chaleureuse. Beaucoup retrouvent leur ancienne maison ; d’autres découvrent leurs collègues du bout du monde. Ils sont ambassadeurs, ambassadrices*, consuls généraux ; c’est leur jour de gloire.

Les autres jours de l’année, ils sont loin de chez eux, perdus dans la masse des diplomates en poste dans la capitale du pays d’accréditation et pas toujours les mieux lotis, souvent dans un univers culturel qui leur est étranger et contraints de parler une langue qui n’est pas la leur. Il y a les vieux routiers des Conférences des ambassadeurs, il y a les anciens ministres désormais ambassadeurs, il y a aussi les nouveaux promus qui ont fait leurs classes au sein de l’armée (c’est le cas, notamment, à Alger et à Bamako), ceux qui ont changé d’attribution et d’univers culturel (Céline Yoda qui vient de présenter ses lettres de créance au président de la République de Chine) et les vrais nouveaux qui s’installent dans des capitales où il n’y avait pas (ou plus) d’ambassadeur-résident (Ankara, Moscou, N’Djamena).

Autant dire que cette XIIIème Conférence des ambassadeurs ne ressemble en rien à la précédente qui s’était tenue les 20/21/22 février 2012 (trois ans s’étaient écoulés depuis la tenue de la XIème Conférence au cours de l’été 2009). Il n’y avait alors que 28 ambassadeurs et 6 consuls généraux (respectivement 32 et 9 aujourd’hui). Les ambassadeurs à Tokyo et à Berlin, qui présentaient alors leurs lettres de créance, n’avaient pas pu faire le déplacement ; celui en poste à Brasilia n’avait fait qu’un bref passage. Deux poids lourds politiques, Juliette Bonkoungou et Salif Diallo n’appartenaient plus à la diplomatie burkinabè. Et puis la situation nationale et régionale n’était pas des plus sereines.

Le souvenir des mutineries de 2011 était encore dans toutes les mémoires. Beyon Luc Adolphe Tiao avait été nommé à la primature en remplacement de Tertius Zongo. Le mot d’ordre tenait alors en cinq lettres : SCADD ; et la « diplomatie de l’émergence » était appelée à prendre la suite de la « diplomatie de la médiation » (cf. LDD 0291/Lundi 20 février 2012). Régionalement, la « crise ivoiro-ivoirienne », malgré l’accession au pouvoir de Alassane D. Ouattara, n’était pas encore résorbée, le Sénégal était entré dans une période de turbulences du fait d’une présidentielle à laquelle se présentait Abdoulaye Wade, un Burkinabè venait d’accéder à la tête de la Cédéao et le Mali sombrait dans le chaos dont on ne savait pas encore jusqu’où cela pouvait aller.

Deux ans plus tard, la situation s’est stabilisée après le drame des « mutineries ». Le corps diplomatique n’a pas échappé aux restructurations. Après avoir reçu un coup sur la tête et vu son image de stabilité fortement dégradée, le Burkina Faso devait relancer la machine. Economique et sociale. C’est le rôle de la SCADD et de « réformes politiques » mal appréciées par l’opposition. Le choix d’un communicateur comme Premier ministre ne devait rien au hasard. Précédemment ambassadeur à Paris, Tiao avait par ailleurs le contact avec les décideurs politiques et les opérateurs économiques en France ; pas négligeable dans le contexte détérioré de l’époque (même si la crise des « mutineries » a été résolue en interne à la « burkinabè »).

La vie politique au Burkina Faso n’est jamais « un long fleuve tranquille ». 2014 se situant juste avant 2015 et 2015 étant une année électorale, plus encore présidentielle, tout le monde s’agite avec plus ou moins de fébrilité. Voilà donc le corps diplomatique mobilisé sur le front de la politique… intérieure. Et le premier ministre lui-même a rejoint les troupes. Ce matin, à 10 heures, il a prononcé l’allocution d’ouverture de la XIIIème Conférence des ambassadeurs. Il s’agissait de rappeler à tous qu’il convenait de « ne pas relâcher les efforts consentis depuis de nombreuses années ».

Paix, sécurité, stabilité pour « bâtir ensemble un Burkina Faso émergent », énoncé du programme du président du Faso. Tiao n’a pas manqué de rappeler que Blaise Compaoré était « l’inspirateur de la politique étrangère » du pays et que les ambassadeurs étaient ses « représentants ». Tout cela étant dit, la feuille de route a été claire et nette : « Notre pays ne serait pas ce qu’il est sans les hommes et les femmes vivant à l’étranger et sans leur apport multiforme à notre histoire commune ». Un apport « exceptionnel », une « œuvre » menée de « concert » avec les « compatriotes restés sur le territoire national » et tout cela pour que « notre cher Burkina Faso » soit « un pays où il fait bon vivre ».

Après avoir rappelé qu’au sein des « Burkinabè de l’étranger » se trouvaient quelques « élites » mondiales, il est revenu sur le projet Migration pour le développement en Afrique (MIDA), inscrit dans la SCADD, qui vise à promouvoir la participation des « Burkinabè de l’étranger » au développement économique et social du pays « à travers une utilisation de leurs compétences, de leurs expertises et de leurs ressources financières en vue de la satisfaction des besoins exprimés par les institutions privées et publiques de notre Nation ».

Les « Burkinabè de l’étranger » étant caressés dans le sens du poil, il lui restait à réaffirmer que « les dispositions seront prises pour que la Commission électorale nationale indépendante (CENI) commence en temps opportun la révision des listes électorales et le recensement biométrique des Burkinabè de l’étranger en âge de voter ». Tiao n’a pas manqué de souligner qu’il y avait une « continuité » dans l’action du gouvernement, histoire de convaincre tout le monde que ce n’est pas d’aujourd’hui que Ouaga se soucie des « Burkinabè de l’étranger » et d’une « utilisation rationnelle de leurs compétences ». Il a annoncé également que le Forum national des « Burkinabè de l’étranger », prévu pour cette année, était reporté à 2015 pour des raisons strictement budgétaires.

Mais les « Burkinabè de l’étranger » et l’échéance présidentielle de 2015 ne doivent pas occulter, pour autant, les préoccupations spécifiques qui sont celles du ministère des Affaires étrangères et de la Coopération régionale. Tiao, qui a rendu hommage au travail assuré par Djibrill Y. Bassolé et son « ministre délégué » (Thomas Palé en charge de la Coopération régionale), a rappelé « la vision ambitieuse » qui était celle du gouvernement concernant « la place de notre pays dans le monde » et le « souci » des autorités politiques « d’améliorer les conditions de travail » des diplomates.

Ouaga est devenu un hub diplomatique et le pays entreprend d’être présent partout dans le monde dès lors que le monde - et particulièrement le monde « émergent » - reconnait le Burkina Faso comme un interlocuteur diplomatique incontournable en Afrique de l’Ouest et au-delà. Alors que d’aucuns voudraient que le Burkina Faso soit « en crise » quand il est l’objet d’un débat politique de grande ampleur, le comble est que ce sont les « crises » des pays voisins (Mali et Côte d’Ivoire ces dernières années, Togo, Niger, Guinées Conakry et Bissau sans oublier l’implication de Bassolé dans la « crise du Darfour ») qui ont permis à Ouaga de s’imposer sur ce créneau. Et cela durablement.

* La parité est encore loin d’être assurée au sein du corps diplomatique : huit femmes sont en fonction en tant qu’ambassadrices et une seule en tant que consule générale. On notera cependant qu’elles ne sont pas nécessairement en poste dans des pays mineurs : Afrique du Sud ; Allemagne ; Chine ; Danemark ; Ethiopie ; Ghana ; Sénégal ; Tunisie (+ Niger pour la consule générale). Mais le ministère des Affaires étrangères et de la Coopération régionale (qui n’a jamais été dirigé par une femme même si une femme a été ministre déléguée en charge de la Coopération régionale) a encore des difficultés à être homogène dans la gestion du « genre » : sept ambassadrices étaient présentées comme « Madame l’ambassadeur », une seule était présentée comme « Madame l’ambassadrice » (en l’occurrence Madame Hien Winkoun, ambassadrice à Tunis). Une situation qui n’a pas manqué d’exaspérer Monique Ilboudo, ambassadrice au Danemark, dont on sait l’engagement « féministe ».

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique