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Salia (Maire de Bobo Dsso), le caïd du Front républicain

C’est l’homme orchestre du meeting de Bobo-Dioulasso du Front républicain qui a eu lieu le 12 avril au stade Wobi. Il avait promis de remplir le stade « recto verso » pour en faire « le meeting du siècle » au niveau de sa ville. Le pari est-il tenu ? Pour lui et ses camarades, c’est une réussite évidemment, même si on est loin du « meeting du siècle » promis. L’essentiel était ailleurs pour les organisateurs, surtout le maire Salia Sanou qui avait un défi à relever, celui de montrer qu’il tient encore sa ville face aux « incursions » du parti des ex camarades, le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP). Face à ces gens, il est prêt à jouer le caïd pour sauver l’honneur du CDP et du Front républicain.

« Il y a le monde dans le monde. Parmi ceux qui étaient au meeting du MPP, il y avait plusieurs curieux. C’est comme nous l’avions dit, Roch a passé trop de temps à la tête du CDP sans jamais venir à Bobo se présenter publiquement. Simon Compaoré, c’est la même chose. Salif Diallo, lui on le connaît un peu parce que pendant la campagne présidentielle (2005) il a tourné un peu ici. C’est d’ailleurs pour cela qu’ils ont pris le boulevard pour que les passants puissent s’arrêter et regarder. Pire, il n’y avait aucune personne ressource de Bobo dans leur meeting. Leur mobilisation n’a pas du tout inquiété et c’est pour cela, ils ont raconté ce qu’ils ne devraient pas dire. Nous, nous allons faire la différence en mobilisant plus en nombre et en qualité de personnes. On sera avec des personnes qui incarnent les valeurs de notre province. » Ainsi s’exprimait sur le site de faso.net Salia Sanou après le meeting du MPP le 1er mars dernier dans la ville qu’il gère. Il fallait donc répliquer. Annoncée pour le 15 mars, la réplique n’a pas eu lieu à cette date. Aucune explication officielle n’a été donnée au report du meeting du CDP et de ses alliés du Front républicain. Dans certains milieux proches du pouvoir, on avançait l’agenda national (le 8 Mars, la foire de Sindou) qui mobilisait une bonne partie des autorités régionales et nationales pour justifier le report du meeting. Il fallait éviter les télescopages et la surcharge au niveau des autorités et même des populations qui sont sollicitées pour toutes ces rencontres. Mais à la vérité, la section provinciale du CDP/Houet n’était pas prête dans les préparatifs du meeting. Non seulement, elle n’avait pas reçu les moyens nécessaires pour faire le travail de mobilisation, mais aussi, la proximité avec le meeting du MPP n’arrangeait pas le pouvoir en terme d’image dans l’opinion publique. Il a été instruit par la contre marche du CDP du 6 juillet 2013 suite à celle organisée par l’opposition le 29 juin de la même année. Les communicants du régime ont donc conseillé de différer le « meeting revanche » du CDP et de l’élargir au Front républicain. C’est ce qui explique le « cafouillage » dans la maitrise de l’agenda de ce meeting.

Salia, heureux comme un gamin Le maire de Bobo savoure sa victoire après ce que certains confrères ont qualifié de « démonstration de force » au stade Wobi de Bobo-Dioulasso le samedi 12 avril dernier. Il a réussi avec ses amis du Front républicain à remplir la cuvette du temple historique du football bobolais (à peu près 10 000 places) et une bonne partie de la pelouse. Le maire de Bobo a de quoi se réjouir car le pari de la mobilisation n’était pas gagné d’avance. Le CDP et ses alliés du Front avaient eu la trouille au « débarquement » du MPP dans l’Ouest du pays, en commençant par la marée humaine qui a accueilli les ténors de ce parti dans la ville de Sya le 28 février, puis à leur meeting du 1er mars sur l’Avenue de la Révolution. Cette grande mobilisation des nouveaux opposants au régime intervenait moins de deux mois après la grande marche de l’opposition politique sous la bannière du CFOP le 18 janvier 2014. A partir de ce moment, personne ne vendait encore chère la peau du CDP, y compris ses propres responsables qui s’adonnaient plus à la phraséologie qu’à l’action sur le terrain. Le Front républicain était en hibernation totale trois mois après sa création. Aucune action significative. La peur avait gagné de nombreux esprits. C’est dans ce contexte que des têtes brûlées surgissent pour affirmer leur « bravade ».

Salia, le reflet de l’état d’esprit du régime Salia incarne bien ce rôle dans le système Compaoré en difficulté. Dès le début, il a occupé le terrain médiatique pour contrecarrer l’offensive de ses ex-amis. Il multiplie des sorties médiatiques les plus iconoclastes les unes après les autres. Sa très forte présence médiatique à cette période contraste pourtant avec ses habitudes. Même maire de la deuxième ville du pays, il n’aime pas le contact des médias, préférant laisser le terrain médiatique à ses collaborateurs et aux maires d’arrondissement. Alors, en novice, il allonge des bourdes devant la presse qui s’en délecte, son public avec. Après son amour débordant pour la famille présidentielle : « Si on le veut, Djamila [la fille du couple présidentiel] sera présidente du Faso », il revient quelques jours après pour « rectifier » ses propos ou ses interprétations. Mais cette sortie rectificatrice s’avère aussi malencontreuse pour la famille pour laquelle il se bât. Il met de l’eau au moulin de tous ceux qui demandent au président de se retirer à la fin de son dernier mandat : « Ici, dans notre pays, il faut reconnaitre que plus de 20 ans au pouvoir, c’est fatiguant, c’est dur et les Burkinabè doivent songer au remplacement. », affirme-t-il. Mais pour lui, peu importe. Ce qui compte, c’est sa farouche volonté de contrecarrer les ex-camarades : « Mais pour remplacer le président, il faut bien s’organiser pour que celui qui va prendre la relève ne nous amène pas dans le chaos. Il ne faudrait pas que ce soit des aventuriers politiques qui viennent au pouvoir pour remplir leurs poches. Ce ne sont pas des gens qui ont fêté leurs milliards qui vont prendre aujourd’hui le pouvoir pour dire qu’ils veulent l’intérêt du peuple. Eux-mêmes reconnaissent que le peuple Burkinabè à faim alors qu’ils ont fêté leurs milliards. » Salia affirme ici tout haut ce que les premiers responsables de son parti pensent tout bas. Pour eux, il n’est pas question que ce soit Roch qui remplace Blaise Compaoré même si cela devait se faire par voie démocratique. Ils préféreraient l’intervention de l’armée, à défaut d’un autre opposant. Roch et ses camarades du MPP chercheraient à humilier le président Compaoré, donc il faut leur barrer la route de Kosyam par tous les moyens. Si le rapport des forces était toujours en leur faveur, les responsables du parti au pouvoir n’allaient pas hésiter à recourir à l’argument de la force pour atteindre leur objectif. Le contexte n’étant plus favorable, certains sont réduits aux propos incendiaires et belliqueux. Salia incarne à merveille cette disposition d’esprit qui règne dans le milieu. S’agit-il pour autant d’une stratégie à long terme ? La contre offensive des meetings avec leur lot d’insultes contre les adversaires va meubler l’agenda du CDP et de ses alliés du Front durant l’année 2014. Il faut montrer du muscle pour ne pas paraitre battu d’avance. Il ne faut pas montrer qu’on a peur. Ce n’est pas bon pour les obligés internes et les partenaires extérieurs. Il faut s’activer alors à entretenir un bon état psychologique des militants. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre l’offensive médiatique tous azimuts entreprise par le parti. Chaque semaine, c’est une kyrielle d’interviews qui sont accordées dans les médias, soutenues par un bataillon d’internautes pré positionnés pour les « commentaires ».

C’est une stratégie qui rappelle celle du président de l’UNDD d’Hermann Yaméogo dans les années de sa traversée du désert entre 2003 et 2011. Son expérience montre que la stratégie n’est pas payante auprès de l’opinion publique où sa côte est des plus bas. Nous parions donc que si le pouvoir compte positionner quelqu’un d’autre pour la présidentielle à venir, il va vite abandonner la stratégie de « terre brûlée » actuelle pour adopter une attitude plus apaisante et responsable. Mais comme tous les signaux le laissent percevoir, il veut passer en force à travers son référendum à l’instar de Tandja en 2009 au Niger, nous sommes partis pour des lendemains politiques les plus incertains. Ce serait alors l’ère des caïds au Faso et Salia a toutes les chances de retrouver ses semblables qui se recrutent aussi dans d’autres partis.

Abdoulaye Ly
MUTATIONS N° 51 du 15 avril 2014. Bimensuel burkinabé paraissant le 1er et le 15 du mois (contact :mutations.bf@gmail.com . site web :
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