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Ambassade du Burkina Faso en Afrique du Sud : Détournement de 300 millions FCFA

C’est une affaire où se mêlent corruption et escroquerie. Au centre de l’affaire, l’ex-ambassadeur du Burkina Faso en Afrique du Sud, Moumouni Fabré. Il a reçu 300 millions FCFA pour l’achat d’un bâtiment pour abriter les services de l’ambassade, mais quatre ans après, il n’y a point de bâtiment. Où sont passés les fonds ? Avec qui a-t-il conclu le marché ? Pourquoi cherche-t-on à taire l’affaire ? Ce sont autant d’interrogations qui méritent d’être éclaircies. Enquête.

L’affaire date de 2009. L’ex-ministre de l’Administration territoriale entre 2002-2006, Moumouni Fabré, est en fonction depuis août 2008 comme ambassadeur (il a été nommé le 16 avril 2008). Il demande au ministère des Affaires étrangères l’inscription d’une ligne budgétaire pour l’acquisition d’une propriété servant pour la chancellerie. Sa requête est acceptée. 300 millions sont mis à la disposition de l’ambassade en 2009. Pour l’achat, l’ambassadeur Fabré prend attache avec une proche amie du nom de Vanetia Cohennoton. Elle prétend avoir une agence immobilière dénommée « Diplomatic support services ». Le nom de l’agence laisse supposer en effet qu’elle dispose d’un statut diplomatique ou qu’elle a un lien avec les Affaires étrangères. Mais ce ne sont que des apparences.

La seule certitude, c’est qu’elle est domiciliée à Johannesburg (P.O.Box 651125, Benmore 2010 Johannesburg, South Africa). L’ambassadeur Fabré a néanmoins confiance à l’agence. Elle peut engager la prospection. Elle ne tarde pas à revenir avec une annonce en main : un terrain sur lequel est érigé un bâtiment. Bien que vétuste et délabré par endroit, l’ambassadeur donne son accord pour l’achat. Pour la conclusion de l’achat, l’ambassadeur Fabré se fait accompagner par son trésorier-précepteur, Florent Paré (inspecteur du Trésor). La dame de l’agence est, elle, avec le propriétaire du terrain. Ils signent comme garantie une attestation de vente et un procès-verbal qui autorisent d’occuper les lieux. L’ambassade rejoindra effectivement ses nouveaux locaux en 2010. Mme Vanetia Cohennoton de l’agence immobilière rassure l’ambassadeur que le dossier pour l’acquisition du titre de propriété sera traité sans problème.

Pour le paiement, les fonds, estimés entre 100 et 300 millions FCFA selon des sources, sont transférés diversement en devises dans des comptes à Genève, Zurich (Suisse) et Gansu (Chine). Une source sûre affirme que le terrain et la maison n’ont coûté en tout et pour tout que 100 millions FCFA, les 200 autres millions ne seraient que de la surfacturation. Ils auraient été partagés par les quatre complices. C’est ce qui expliquerait le versement de l’argent dans des comptes à l’étranger.

La désillusion tardive de l’ambassadeur

Toutefois, les années passent, mais les garanties de Mme Vanetia ne sont suivies d’aucun effet. Pour tout titre de propriété, l’ambassade ne dispose que d’un procès-verbal qui n’a aucune valeur juridique. Depuis 2010, l’ambassade ne s’est pas non plus référée à un service domanial sud-africain pour un éventuel transfert de propriété ou pour, au moins, savoir quelle est la situation du domaine. Autre impair, l’ambassade, personne morale internationale, n’a associé ni informé le ministère des Affaires étrangères sud-africain, violant de ce fait la Convention de Vienne de 1963. Au résultat, quatre ans après, l’ambassade court toujours après un document juridique de propriété pour parer à toute éventualité. Mais ce que certains craignaient a fini par arriver en avril 2014. Un monsieur accompagné d’un huissier se pointe dans les locaux de l’ambassade avec des documents de droit. Il déclare qu’il veut prendre possession de sa propriété.

A la lumière des documents brandis par le huissier, il s’avère que la maison était sous hypothèque bancaire et la banque l’a vendue légalement à ce monsieur. La banque ignorait tout de l’existence de la transaction illégale faite avec l’ambassade du Burkina. Le nouvel acquéreur non plus n’en a cure de cette vente frauduleuse. Alors l’ambassade est invitée à libérer les lieux ou à fournir les preuves légales de sa propriété des lieux. Elle ne peut évidemment fournir aucune preuve valable. Elle se tourne alors vers le ministère des Affaires étrangères sud-africain qui se lave les mains parce qu’il n’y comprend rien.

Les services sud-africains n’arrivent pas à comprendre comment une personne, surtout morale, une ambassade de surcroit, peut-elle acquérir un bien sous hypothèque sans vérifier si ce bien appartient au vendeur. Comment peut-elle verser de l’argent cash sans assurance de posséder ce qu’il achète ? Pour le malheur de l’ambassade, la dame de l’agence immobilière n’est plus joignable. Elle a disparu dans la nature. Quant à l’ancien propriétaire qui n’est pas arrivé à lever l’hypothèque durant quatre ans, il renvoie l’ambassade à l’agence de Mme Vanetia, tout en sachant qu’elle ne répond plus à ses adresses. Sont-ils complices ? Il est difficile à l’ambassade de le prouver. L’ancien propriétaire affirme à qui veut l’entendre qu’il n’aurait rien à se reprocher.

Le traitement du dossier au Burkina

L’ambassadrice Salamata Sawadogo arrivé à Pretoria en début 2014 (elle a présenté ses lettres de créances le 6 mars) en remplacement de Fabré hérite de cette situation rocambolesque. Elle aurait naturellement saisi confidentiellement la présidence du Faso et le ministère des Affaires étrangères. Le ministre Bassolet semblait, selon une source, agacé par la légèreté avec laquelle l’’ex-ambassadeur a géré l’affaire. Au cabinet du ministre, on se demande comment un ambassadeur qui était à son troisième poste (après Bonn et Téhéran) pouvait-il ignorer les règles sécuritaires à prendre dans ce genre d’opération. Cela est d’autant plus surprenant qu’il était assisté par un trésorier, inspecteur du Trésor. Les doutes sur la bonne foi des deux se sont renforcés quand on a découvert le paiement en devises sur des comptes à l’étranger (Suisse et Chine). Pourquoi la transaction n’avait-elle pas été faite sur place en Afrique du Sud avec le Rand, la monnaie sud africaine ? Ce sont autant de question qui éveillent des soupçons. Est-ce pour cela que l’ambassadeur Fabré a été débarqué ? Salimata Sawadogo a pris fonction dans ce contexte d’insécurité domaniale.

Les autorités nationales ont demandé, dans un premier temps, à l’ambassade de s’attacher les services d’un avocat. Il est recommandé de poursuivre l’agence immobilière et l’ancien propriétaire. Selon nos informations, aucune plainte n’a été déposée pour le moment contre les « deux complices ». Pourquoi ne l’a-t-on pas fait ? Craint-on que ces derniers ne dévoilent les dessous de la transaction, ce qui risque d’affecter l’honorabilité de l’ambassade toute entière ? L’affaire aurait été évoquée de nouveau lors de la visite du chef de l’Etat en Afrique du Sud, en marge de la cérémonie d’investiture du président Jacob Zuma. Quelle instruction l’ambassadrice a-t-elle reçue à cette occasion ? Apparemment, rien de précis puisque jusqu’en mi-juillet, ses services attendaient toujours, dans l’angoisse, la sentence du nouveau propriétaire, décidé à mettre sa menace d’expulsion à exécution.

Nous avons essayé tous les contacts de l’ex-ambassadeur Fabré à notre possession pour recueillir sa version des faits. Mais durant des mois, nous n’avons pu le joindre. Ses numéros de téléphones ne fonctionnent plus. Sa page facebook est également inactive. Au niveau du ministère des Affaires étrangères, l’affaire est classée sous le sceau « très confidentiel ». L’autorité supérieure de contrôle d’Etat (ASCE) ne doit pas s’intéresser à l’affaire. On ne veut pas de scandale après ce qui s’est passé avec l’ambassadeur Joseph Paré (cf. Mutations n°21 du 15 janvier 2013). Mais cette volonté de passer l’éponge sur l’indélicatesse de l’ambassadeur et de ses complices n’est pas accompagnée de mesures idoines pour mettre la mission diplomatique et son personnel à l’abri de tracasseries. Ce qu’on redoutait a fini par arriver. L’ambassade a été de nouveau sommée de quitter le bâtiment le 18 juillet dernier. L’ambassade du Burkina Faso en Afrique du Sud est donc dans la rue.

Affaire à suivre !

Abdoulaye Ly
MUTATIONS N° 58 du 1er août 2014. Bimensuel burkinabé paraissant le 1er et le 15 du mois (contact :mutations.bf@gmail.com . site web : www.mutationsbf.net)