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De la gestion immobilière des représentations diplomatiques africaines : Témoignage d’un expert
OPINION

A la suite de l’article sur l’affaire d’un possible détournement de 300 millions de francs CFA à l’ambassade du Burkina Faso en Afrique du Sud, nous avons reçu la réaction d’un spécialiste du secteur immobilier. Il met à nue les mauvaises pratiques en la matière et surtout interpelle nos diplomates sur la question très sensible de la gestion immobilière qui engloutit chaque année de très gros sous.

Je travaille aux USA pour une firme spécialisée dans la vente, location et/ou gestion de patrimoine immobilier et je ne suis pas du tout surprise par les vicissitudes de notre ambassade en Afrique du Sud. Et je suis certaine que ces déboires ne sont pas arrivés qu’à notre ambassade.

Notre firme a une grosse clientèle qui nous vient des Nations Unies et des missions diplomatiques. J’ai toujours été sidérée par la candeur des employés des missions sub-sahariennes. Du moins celles avec lesquelles j’ai eu affaire.

Une constatation désolante : ils ne lisent pas ou à peine les contrats. On leur dit "signez ici, signez la..." ; ils signent. C’est comme s’ils étaient tout simplement heureux d’avoir le bien et exécutent les contrat sans confrontation. Vous jugerez sans doute mes propos sévères et méchants, mais c’est la réalité ; la plupart sont comme de grands enfants. Et vous vous dites : "bon sang, où est-ce qu’ils vont les chercher ces conseillers des missions diplomatiques sub-sahariennes alors qu’il ne manque pas de personnes plus perspicaces et aptes à la tache ?".

Pas plus tard que la semaine dernière, un conseiller d’une Mission Permanente m’a appelée pour soumettre une requête : "Vous vous rappelez les contrats de location que nous avons signés en décembre 2012 ? Nous n’avons pas de copies et nous en avons besoin pour des références. Pourriez-vous nous en procurer ?" Quoi ? Comment ? Ils ont signé des contrats de location depuis près de deux ans, vivent dans ces appartements et n’ont même pas de copie de ces contrats contresignés par les propriétaires. C’est à vous laisser baba !

Comparativement, les Allemands par exemple sont très pointilleux et prévoyants : Il y a un responsable a la Mission Allemande chargé de valider avant signature du bail tous les appartements que les employés de la Mission (même les stagiaires temporaires) trouvent. Pareil pour les ventes. Voici leur démarche :
1- Dès que les employés mutés arrivent, ils donnent les contacts de 3 agences immobilières avec lesquelles ils travaillent, dont la notre.
2- Les nouveaux arrivés appellent les compagnies, donnent les précisions sur ce qu’ils veulent (quartiers, taille du logement, budget mensuel)... et commencent les recherches. Ils ont deux à trois semaines pour trouver un logement. Pas question de s’éterniser à l’hôtel aux frais du contribuable allemand. Pas question non plus de passer d’interminables semaines hors du bureau à chercher un logement, il faut travailler !
3- Une fois qu’ils ont trouvé le logement entrant dans leurs critères, un haut responsable de la Mission se déplace pour visiter lui aussi le dit-logement et donner son feu vert.
3- Une fois le feu vert du responsable acquis, le contrat est rédigé et envoyé, non pas au locataire, mais au responsable en question. Celui-ci le fait réviser par leur avocat avant que le locataire ne signe. S’il y a modifications et amendements à faire, l’avocat de la Mission envoie une note avec les détails. Ils ne signent que si tous les termes sont clarifiés et validés.
4- Sachant que les diplomates sont des salariés très mobiles, la Mission Allemande prend toujours le soin de négocier dans le contrat une clause de départ avant terme du bail en cas de mutation. Ceci pour éviter de continuer à payer un loyer sur un appartement vide pendant plusieurs mois quand un salarié est muté ailleurs et que le bail est toujours en cours.

Et bien croyez que de telles précautions ne sont jamais venues à l’esprit de mes frères africains avec lesquels j’ai eu affaire. La rapidité avec laquelle ils signent sans lire ou sans attention soutenue, sans faire réviser par un supérieur, sans négociation de clauses est hallucinante voire consternante. Un jour un conseiller d’une Mission d’Afrique Centrale était revenu dans mon bureau avec un bail : "Au fait, où dois-je signer, comme tout est en Anglais, je n’ai rien compris, je ne sais pas où signer". A noter qu’il voulait juste savoir où signer. Il n’avait pas demandé à comprendre le texte, ses engagements, responsabilités ou celles de la Mission par rapport au contrat. Ne prennent-ils pas la mesure qu’en apposant leur signature sur un document ils engagent la responsabilité de tout un pays ?

Et puis il y a les Iraniens de la Mission Permanente Iranienne. Eux, c’est la précaution a l’extrême, presque de la paranoia ; ils n’ont confiance en personne. Mais mieux vaut une précaution extrême que zéro précaution.
1- Trois personnes doivent visiter l’appartement de leur intérêt. D’abord la personne qui va y habiter cherche et choisit ce qui lui plait. Ensuite un supérieur va le visiter pour être sur que le produit est bien et conforme. Apres lui un autre supérieur du précédent supérieur va aussi le visiter pour valider les choix.
2- Une fois que les avis se sont accordes sur l’appartement, le contrat relève du parcours du combattant. L’année dernière, ils voulaient louer un appartement de 3 chambres a $10,000/mois, soit environ cfa 5 millions. Les tractations sur le contrat avaient dure 3 semaines : ils avaient d’abord fait lire le contrat sur place. Puis l’auraient envoyé à Téhéran pour être approuvé. Le contrat était revenu avec plusieurs amendements. Nous nous étions rencontrés pour accorder les amendements. Cela avait pris 3 jours. Et pour cause, chaque ligne du bail était passée a la moulinette. A l’issue du troisième jour, les nerfs étaient a vif de part et d’autre et surtout de notre côté. A la fin de la journée, pas d’accord sur certains amendements.

Entre temps, il fallait renvoyer à Téhéran les derniers amendements faits pour approbation. A l’issue de la 4eme journée, après trois semaines de va-et-vient, nous avions jeté l’éponge et annulé la location, offert l’appartement à un autre client. Qu’à cela ne tienne ! Ils rechercheront un autre bien mais ce sera toujours avec les mêmes précautions. Considérez que ceci n’était que pour une petite location de 5 millions par mois. Imaginez un peu l’achat d’un building, d’une maison ou d’un appartement avec eux ?

Et quid d’une transaction d’achat de 300 millions comme celle réalisée par l’ambassade du Faso en Afrique du Sud ? Sans vérification de titre de propriété (la précaution première à prendre dans une telle transaction, le B.A.BA que n’importe quel ci-devant met en pratique ici quand il achète un bien immobilier) ?

En virant l’argent de la transaction sur différents comptes offshore ? Une folie !
Ceci n’est ni délation, ni raillerie, mais une consternante constatation. Il faut vraiment le voir pour croire ; la plupart des conseillers des Missions diplomatiques Sub-Sahariennes auxquelles j’ai eu affaire dans les transactions immobilières sont d’une légèreté et d’une candeur qui frisent l’ignorance, sinon l’incompétence à un haut point. Et en cherchant, on trouvera que l’ambassade du Faso en Afrique du Sud n’a pas été la première et ne sera pas la dernière a connaitre cette mésaventure. Ce qui leur est arrivé, ce n’est pas de la malchance, c’est de l’incompétence que l’on observe ici aussi au quotidien avec ces diplomates et conseillers.

Par Esther (themis.mc8@gmail.com)