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1er septembre à Ouaga : A quand le retour du Naba Wobgo ?
OPINION

Aujourd’hui est un 1er septembre. Pour beaucoup de Ouagalais, pour ne pas dire de Burkinabè, ce jour fait inexorablement penser à une date, celle du 1er septembre 2009, quand des inondations d’une rare ampleur avaient envahi la capitale, faisant de nombreux dégâts matériels et des pertes en vies humaines. Mais, l’écrit ci-après démontre qu’au-delà de 2009, les Ouagalais et les Burkinabè dans leur histoire ont également connu un autre événement aussi important un 1er septembre que ce qui s’est produit il y a cinq ans : la conquête de Ouagadougou et la fuite du Naba Wobgo.

« Quand on parle du 1er septembre les Burkinabè en général et les Ouagalais en particulier se souviennent de cette triste journée de déluge de 2009. Pourtant le 1er septembre correspond aussi à une date importante dans l’histoire du Burkina Faso.

Il y a quelques années, 17 pays africains ont commémoré sinon fêté le cinquantième anniversaire de leur indépendance. Parmi ces pays figure le Burkina Faso, l’ex-colonie de la Haute Volta. Si l’heure est au bilan des indépendances, il est aussi important de jeter un coup d’œil dans le rétroviseur pour évoquer un personnage historique qui s’est distingué par sa volonté d’empêcher à tout prix la subordination de son territoire : il s’agit de Boukari KOUTOU intronisé sous le nom de Naba Wobgo.
En rappel, après la conférence de Berlin de 1884-1885, l’Afrique sera victime d’une ruée des explorateurs en vue d’organiser sa conquête.

Sous son règne, Naba Wobgo recevra plusieurs explorateurs. Il recevra Crozat le 21 septembre 1890. Il a reçu aussi Monteil en avril 1891 et finira par le chasser sous une pluie battante. Alby, moins chanceux, ne sera pas reçu. Il s’est opposé à tout traité avec ces explorateurs. Très visionnaire, il déclarait « les hommes blancs agissent toujours de la même manière. Un d’entre eux vient toujours et s’il est bien reçu, ils arrivent en grand nombre et là où ils s’établissent il n’y a plus de roi noir, c’est leur roi qu’ils imposent. » Aux propositions du traité de protectorat des Français, il répliqua : « je sais que les Français veulent me faire mourir pour prendre mon pays. D’ailleurs tu prétends qu’ils vont m’aider à l’organiser mais je trouve mon pays très bien tel qu’il est… »

Convaincu que les blancs ne viennent pas en Afrique pour défendre les intérêts des noirs, Naba Wobgo s’opposa à tout accord de protectorat avec ceux-ci. Seul l’Anglais Georges Eykem Ferguson parvient à signer le 02 juillet 1894, un traité d’amitié et de commerce avec le Naba Wobgo. Quant aux Français, ils vont échouer sur toute la ligne en voulant coûte que coûte signer des accords avec le Naba de Ouagadougou. Pourtant l’occupation du mogho était un impératif aux yeux de ces derniers qui voulaient rallier leurs possessions de la région de Côte d’Ivoire à celles qui se trouvent autour du lac Tchad afin de former un tout monolithique.

Dès février 1895, le ministre des colonies, Delcassé, ordonna de prendre toutes mesures d’urgence afin d’obtenir des traités avec le Yatenga, Ouagadougou (…) toutes les régions où la France risquait d’être devancée par l’Angleterre.
Destenaves à la tête d’une forte colonne quitte Bandiagara pour le Yatenga où il signe un traité de protectorat le 18 mai 1895. Il continue à Ouagadougou avec l’intention de convaincre Naba Wobgo d’accepter un protectorat. Il sera lui aussi refoulé.

Inquiètes devant le nouvel échec français et devant l’urgence d’occuper Ouagadougou au détriment des Anglais, les autorités jugent impératif de conquérir le territoire par la force. La mission est confiée à Paul Lucien Gustave Voulet, le célèbre ‘’massacreur’’ et à son ami Chanoine.
La colonne Voulet-chanoine parvient à Yako le 27 août 1896. Devant le refus des autorités de céder le passage ( pas -sooré : ce n’est pas une route, ce n’est pas un passage) à celle-ci, elles seront massacrées.

Le 31 août 1896 les Français sont aux portes de Ouagadougou. Voulet lance un ultimatum à Naba Wobgo qui le juge irrecevable.
Dans la nuit du 31 août, le roi entouré de ses conseillers évaluent la situation et se rendent comptent que la guerre n’est pas gagnable pour plusieurs raisons : l’hivernage, manque de préparation, etc.

Il faut surtout souligner la perte de combativité des guerriers moosé qui sont restés pendant longtemps sans guerre et la puissante réputation de la colonne Voulet. Alors le roi opte pour un repli stratégique. Néanmoins, selon certaines sources, une armée hétéroclite d’environ 2000 hommes a tenté en vain de tenir tête aux envahisseurs.

Le 1er septembre 1896 aux environs de 17 heures, le drapeau français flottait sur le palais royal. Le mythique Ouagadougou est tombé entre les mains des oppresseurs. Mais, les Français obtiennent un royaume sans roi. Ce qui signifie que si le pays est conquis, l’autorité royale n’est pas encore soumise. Le 06 septembre, mieux organisé, Naba Wobgo contre -attaque pour récupérer son royaume. Mais la supériorité militaire de Voulet lui permet de repousser ses attaques.

Le 09 septembre, Voulet quitte Ouagadougou pour d’autres missions. Wobgo profite de cette absence pour réorganiser ses troupes avec l’appui des chefs de cantons qui lui sont restés fidèles afin de reconquérir son territoire. Mais Voulet informé, revient d’urgence pour arrêter le roi résistant le 16 octobre. Sa tentative sera une fois encore sans succès.

Voulet quitte à nouveau Ouagadougou. Cette fois-ci, il fera face aux attaques des partisans de Wobgo le 18 octobre au guet de Kidiga. Le 19 octobre à la bataille de Silmidougou, Wobgo aurait pu inquiéter davantage Voulet s’il avait reçu le soutien qu’il attendait de son frère Naba Koom de Boussouma.

Face à l’insoumission de l’insaisissable Naba et les troubles que cela suscitait, Voulet dans son rapport du 1er novembre 1896 exprime l’urgence d’occuper militairement le royaume afin d’éviter toute mauvaise surprise. Le 23 décembre Voulet revient à Ouagadougou pour établir un poste militaire. Il se rend compte que le Naba n’a pas encore désarmé. Il organisa à nouveau une chasse à l’homme qui s’avéra une fois de plus infructueuse.

Voulet a un royaume désorganisé et sans roi. Il fallait nécessairement en trouver un. Il décide d’en choisir. D’abord Wobgo est vilipendé et déchu de son titre (de son vivant), fait insolite dans un royaume moaga.
Tous les candidats proposés pour remplacer le roi destitué se sont suicidés. Voulet procéda alors par la corruption afin de se faire un nouveau roi pour Ouagadougou. Un, fut finalement intronisé le 27 janvier 1897.

Naba Wobgo ne désarme pas pour autant. Il se replie à Gold Coast (Ghana) pour chercher soutien auprès de ses amis anglais afin de reconquérir son royaume. Un repli stratégique tout comme De gaulle l’avait fait en Grande Bretagne après la défaite française de 1940.

L’ordre sera donné au résident de Gold Coast Steward (Steward) de marcher sur Ouagadougou afin de faire respecter l’accord signé entre Naba Wobgo et Fergusson.

Steward à la tête d’une troupe fortement armée, accompagne le roi déchu afin de l’aider à récupérer son territoire. Voulet sera informé de la mission de Steward. Il l’intercepte le 07 février à Tenkodogo et dès le 08 février les négociations s’engagent.

Les deux officiers expriment la nécessité des ‘’nations civilisées’ ’de ne pas se battre en ‘’terre sauvage’’. Le 09 février, un accord est scellé entre les deux représentants des puissances colonisatrices.

C’est la grande déception et la grande trahison pour Wobgo. Il perd à jamais son territoire. Meurtri par la trahison et l’humiliation, Naba Wobgo meurt en exil à Gold Coast, loin des siens.

1er septembre 1896 - 1er septembre 2014, il y a 118 ans jour pour jour que Ouagadougou avait été pris. Cela fait aussi 118 ans que Naba Wobgo, cet habile homme politique fier et patriote comme l’avait si bien décrit l’explorateur Binger est loin de sa patrie. Il aurait pu préserver son trône et régner jusqu’à la fin de sa vie s’il avait accepté signer un protectorat comme tant d’autres chefs africains l’ont fait. Mais il a préféré risquer sa vie pour préserver l’honneur de son royaume.

Après le cinquantième anniversaire de l’indépendance de notre pays, les autorités politiques et coutumières doivent tout mettre en œuvre pour que Naba Wobgo retourne dans son fief. Wobgo ne mérite pas cet exil si prolongé.

Il y a plus de 50 ans que le Burkina Faso est indépendant. Il est plus que temps que les restes de Naba Wobgo retournent et reposent en paix sous la terre libre et digne de Ouagadougou. Si d’ailleurs on érige des monuments pour des explorateurs-colonisateurs ailleurs, le retour de Naba Wobgo est le minimum de reconnaissance que les Burkinabè doivent témoigner à son égard.

Par ailleurs en ces moments, où la vie politique est minée sinon cancérisée par des actions et des débats aux intérêts contradictoires entre les tenants du système au pouvoir depuis vingt-sept qui prêchent la continuité et ceux qui réclament un nouveau souffle, un nouveau départ, il y a lieu de se rappeler du sacrifice que Naba Wobgo a consenti pour l’intérêt de son peuple.
Même si dans ce pays tout est prioritaire, le retour du Naba est un devoir de mémoire et les autorités burkinabè doivent l’accomplir ».

Lefaso.net
image: Consulado Honorario BF

KIEBRE Mahamoudou
Professeur certifié d’histoire géographie, membre du CLUB d’histoire Joseph KI ZERBO